jeudi 2 juillet 2015

Crime de mots (une nouvelle sélectionnée parmi les 10 lauréats du concours La Vie des Livres 2014 - texte complet à lire sur le lien http)

Le soleil cuivré qui accélérait la moisson dans la plaine d’Hondschoote et le ciel bleu hypnotique ne rassuraient pas le fermier, l’orage de juillet viendrait ce soir ou demain. Sur une moitié du champ, un moelleux jaune de blé barbu ondoyait encore, dernier frisson avant d’être happé par le ballet acharné de la moissonneuse. À droite, les tiges coupées révélaient les sillons de terre craquelée et, sur ce tapis de fakir, les gosses du village couraient vers l’horreur. Ils criaient, excités malgré la touffeur. Ils hurlaient même, quand leurs sandalettes de plastique laissaient les pointes acérées leur transpercer les pieds. Plus ils approchaient, plus les vibrations résonnaient dans leurs corps et le bruit de « chap-chap » des pales coupantes les rendait hystériques comme les mouettes après le chalutier. Dans la cabine, le fermier, obsédé qu’un brin puisse s’échapper, avait les yeux rivés sur la tranche des épis. Il ignorait résolument ce nuage de moustiques attirés par le buffle en besogne, et bien trop près.

Quand les deux fils du fermier déboulèrent sur leur 203, crânant entre les ballots de paille comme au rodéo, les mioches à pied s’arrêtèrent, dégoutés. Leurs yeux bridés suivirent la mobylette qui s’emballa. Elle dérapa sur les tiges en brosse, un coup à droite, un coup à gauche, puis s’envola dans les pales de la moissonneuse. Les deux frères trop tendres ne purent résister. Le sang gicla mêlé de chairs hachées. Des tissus planaient ainsi que des cheveux et des doigts. La mobylette fit une boucle avant de bloquer la ferraille. Le silence figea le ciel, le soleil… Les mots restaient muets dans la gorge. Jusqu’à ce que les cris renversent le sablier.

http://www.pearltrees.com/laviedeslivres/concours-nouvelles-livres-2014/id11717050

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