Le soleil cuivré
qui accélérait la moisson dans la plaine d’Hondschoote et le ciel bleu
hypnotique ne rassuraient pas le fermier, l’orage de juillet viendrait ce soir
ou demain. Sur une moitié du champ, un moelleux jaune de blé barbu ondoyait encore,
dernier frisson avant d’être happé par le ballet acharné de la moissonneuse. À
droite, les tiges coupées révélaient les sillons de terre craquelée et, sur ce
tapis de fakir, les gosses du village couraient vers l’horreur. Ils criaient,
excités malgré la touffeur. Ils hurlaient même, quand leurs sandalettes de
plastique laissaient les pointes acérées leur transpercer les pieds. Plus ils
approchaient, plus les vibrations résonnaient dans leurs corps et le bruit de
« chap-chap » des pales coupantes les rendait hystériques comme les
mouettes après le chalutier. Dans la cabine, le fermier, obsédé qu’un brin
puisse s’échapper, avait les yeux rivés sur la tranche des épis. Il ignorait
résolument ce nuage de moustiques attirés par le buffle en besogne, et bien
trop près.
Quand les deux
fils du fermier déboulèrent sur leur 203, crânant entre les ballots de paille
comme au rodéo, les mioches à pied s’arrêtèrent, dégoutés. Leurs yeux bridés
suivirent la mobylette qui s’emballa. Elle dérapa sur les tiges en brosse, un
coup à droite, un coup à gauche, puis s’envola dans les pales de la
moissonneuse. Les deux frères trop tendres ne purent résister. Le sang gicla mêlé
de chairs hachées. Des tissus planaient ainsi que des cheveux et des doigts. La
mobylette fit une boucle avant de bloquer la ferraille. Le silence figea le
ciel, le soleil… Les mots restaient muets dans la gorge. Jusqu’à ce que les
cris renversent le sablier.
http://www.pearltrees.com/laviedeslivres/concours-nouvelles-livres-2014/id11717050
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